Si vous êtes attentif lorsque vous achetez de la bière, vous remarquerez qu’un ingrédient apparaît de plus en plus souvent sur les canettes ou les menus des brasseries artisanales : le riz. Personnellement, j’ai approfondi mon travail sur le riz en tant qu’ingrédient l’année dernière, grâce à mon travail sur le saké, et je m’y intéresse de plus en plus. Par ailleurs, dans mon travail en service et lors de mes ateliers de dégustation, on me pose de plus en plus souvent la question : quel est le rôle du riz dans la bière ? J’ai donc pensé qu’il était temps de rédiger un petit compte-rendu sur le riz pour les lecteurs.
En Asie et aux États-Unis, le riz est utilisé par les grandes entreprises depuis plus d’un siècle. La bière la plus vendue au monde est une blonde au riz provenant de Chine : la Snow Beer. Plus connue encore, la célèbre Bud Light. Le riz entre dans la recette de la Budweiser depuis 1876, remplaçant partiellement l’orge — selon certains, pour réduire les coûts de production et adoucir le profil gustatif.
Au Japon, comme dans de nombreux pays, des experts brassicoles et des machines venus d’Allemagne ont été recrutés pour améliorer la qualité de la production de bière, avec l’ambition de recréer une culture brassicole allemande florissante. Rapidement conscients que l’orge de qualité était moins abondante, ils se sont tournés vers le riz, non pas simplement pour réduire les coûts de production ou l’impact sur le goût, mais pour valoriser un ingrédient local — et le produit final s’est avéré être un succès tout aussi fulgurant que le « Bud » (pensons à des marques comme Asahi ou Sapporo). C’est pourquoi, à l’échelle mondiale, de nombreuses bières de riz modernes sont thématiquement japonaises.
Dans les cercles artisanaux, le riz a toutefois été quelque peu rejeté, considéré comme un ingrédient “sale”, précisément à cause de son association avec les grandes marques. Mais, au cours des cinq dernières années (disons deux ans au Québec), la situation a changé.
L’apport du riz à la bière est plus complexe qu’un simple moyen d’économiser. Et il ne s’agit pas non plus d’ajouter du riz de table à votre brassin. Selon le résultat final souhaité, il existe une multitude de façons d’incorporer le riz, et même de nombreux types de riz à considérer. On parle ici de riz sec en flocons, grillé ou cuit à la vapeur, de riz Basmati, Jasmin, Calrose, et bien d’autres.
L’impact de ces choix peut être divisé en deux grandes catégories : la texture et la saveur.
Comme le riz apporte moins d’amidon au brassin, il donne des bières plus légères. Elles ont également tendance à être plus sèches et, par conséquent, plus « croquantes », grâce à la perception accrue de l’amertume du houblon. Non seulement cela rend les bières plus faciles à boire, mais cela permet aussi aux autres ingrédients de prendre le dessus : la neutralité gustative des riz (sauf pour certaines variétés) laisse la place aux saveurs plus subtiles du houblon et de la levure. Naturellement, on le retrouve donc le plus souvent dans les lagers.
Au nom du travail, j’ai choisi sept bières de riz québécoises, au hasard (ou presque), parmi les étalages de deux dépanneurs spécialisés en bière artisanale. Chaque produit a su exploiter à sa manière les propriétés mentionnées ci-dessus. Prenons donc ces exemples de bières de riz produites par des microbrasseries membres de l’AMBQ comme une leçon dynamique sur cette céréale à la mode.
Aujourd’hui "Lager de riz"
Soucieux de recréer avec précision des bières inspirées de leurs voyages, les brasseurs de l'Isle de Garde se sont ici inspirés des lagers blondes dégustées à Hanoï, au Vietnam, où des brasseurs locaux ont appris des experts tchèques à brasser avec des céréales locales. Ce parallèle rappelle la relation Japon-Allemagne mentionnée plus tôt. Le résultat : une lager blonde tchèque, en version plus sèche et plus légère, qui met en valeur le houblon herbacé Saaz et offre une amertume vive, même à 3,7 % d’alcool. Extrêmement facile à "écraser" : c'est la bière de frigo idéale.
Ici, Steven (qui brasse selon moi au Réservoir pour accompagner la meilleure cuisine de brasserie du Québec) a imaginé la bière d’accord parfaite. Les lagers foncées sont mes préférées avec la plupart des plats : elles offrent la complexité aromatique des ales brunes et des stouts, mais en plus aériennes, plus sèches et plus pétillantes — idéales pour contrebalancer la richesse salée et grasse de certains mets. Dans cette version, le riz accentue toutes ces qualités, prouvant sa polyvalence, même avec des malts torréfiés.
NOTEZ : les bières de riz vous décevront rarement en matière d’accords, grâce à leur superbe capacité à rafraîchir le palais sans occulter les saveurs que vous aimez.
Une bière houblonnée qui met en valeur des houblons américains fruités et puissants. Son corps pétillant évoque celui d’un seltzer, avec un snap d’amertume et des arômes de citron vert, mangue, myrtille, melon, pêche, noix de coco, menthe, crème et cèdre — tous rehaussés par la légèreté du riz. Là où ces saveurs s’installent habituellement sur une base plus ronde et maltée dans une version « Juicy », on est ici plutôt sur le Beach Club dancefloor que sur une sieste au soleil.
Jusqu’ici, je me suis surtout attardé à l’impact du riz sur la texture. Mais au-delà de sa neutralité, certains brasseurs choisissent le riz précisément pour les saveurs uniques qu’il peut apporter en complément d'autres ingrédients.
Une lager de riz qui associe des fleurs de jasmin à des flocons de riz neutres. Cette combinaison évoque des plats parfumés : au-delà des houblons nobles, le nez floral et délicat n’est possible que grâce à la légèreté de son corps.
Impossible de passer sous silence ma bière de riz préférée, et probablement la plus élaborée. Ils utilisent du riz basmati pour un arôme plus noiseté et floral, et une texture éthérée aux côtés du blé, de l’avoine et de l’orge, optimisant ainsi les bienfaits du goût et de la texture. La bière blanche la plus complexe aromatiquement et la plus équilibrée que je connaisse !
Une Saison multigrain à fermentation mixte et houblon noble qui résume parfaitement ce que j’ai appris en écrivant cet article. Comme ils le disent eux-mêmes, c’est une bière qui « assemble plusieurs influences avec une touche d’impro bien dosée ».
Ce que nous avons constaté, c’est qu’en matière de bière de riz, il y en a pour tous les goûts (Isle de Garde propose également une Stout impériale de riz affinée 18 mois pour les amateurs de bières puissantes !). Selon moi, le succès actuel de la bière de riz peut être attribué à la confluence de trois facteurs clés : les brasseurs peuvent relever un défi amusant en les fabriquant, celles-ci sont suffisamment intéressantes pour stimuler les amateurs de bières artisanales très expérimentales, et elles sont également suffisamment accessibles pour séduire un public de lagers « mainstream » ou de personnes agnostiques.
Dans les années 2020, la préférence des consommateurs s’oriente vers des bières à faible teneur en alcool et plus légères en goût. L’avantage de ces bières de riz, c’est qu’elles offrent une alternative locale aux amateurs de bières industrielles, rafraîchissantes et légères des grands brasseurs.
Respect aux brasseurs ! Il y a quelques années, lorsque les lagers commençaient à prendre tendance pour capitaliser sur ce désir de buvabilité, j’avais des doutes sur la capacité de certains brasseurs à manipuler un ingrédient aussi délicat. On ne peut pas cacher les erreurs dans une lager de riz comme dans une NEIPA ou une sure vieillie en fût de chêne, et pourtant, les erreurs de brassage étaient trop fréquentes dans les lagers plus légères sur le marché. Mais aujourd’hui, en 2025, un groupe de brasseurs québécois de plus en plus talentueux rehausse chaque saison le plafond de qualité de la bière (si malheureusement pas le plancher), et cette cuvée estivale de brassins de riz ne fait pas exception.
Rédacteur : David Spoerry
Consultant en bière de microbrasserie et spécialiste de la qualité des boissons. Certifié Cicerone et BIIAB L2 Beer.