Les défis des microbrasseries au Québec

L’industrie brassicole fait face à des défis complexes: coûts élevés de démarrage, forte compétition, faibles revenus, inflation, etc.

À cela s’ajoute encore la réglementation gouvernementale, le fardeau silencieux qui pèse au quotidien sur les épaules des brasseuses et des brasseurs du Québec.

Le Temps d’une Bière s’est entretenu avec Marie-Eve Myrand, directrice générale de l’Association des Microbrasserie du Québec (AMBQ) pour comprendre l’étrange monde de la réglementation des micro. 

La microbrasserie en tant que levier de développement régional

« C’est extraordinaire l’empreinte que les microbrasseries laisse dans l’économie des régions. Un tiers des microbrasseries de trouvent en région, et un tiers dans les petites localités. Cette fierté du terroir se manifeste à travers la bière artisanale locale, et le rayonnement du Québec à l’international en découle. L’attachement au territoire est donc essentiel. Même les politiciens s’y intéressent : ils sont toujours heureux de nous présenter les microbrasseries de leur région.» 

Pit Caribou est un excellent exemple, tout comme À La Fût à Saint-Tite, Griendel à Saint-Sauveur et Ras L’Bock à l’Apocathière. Cette vocation est ancrée dans l’ADN des microbrasseries.

La microbrasserie est donc aussi un puissant moteur de revitalisation régionale. « Les microbrasseries deviennent des lieux de rencontre au sein des municipalités. Elles offrent une expérience gastronomique et une vie culturelle. On y trouve également des éléments de notre histoire à travers la bière.»

Dieu du Ciel!, microbrasserie de Saint-Jérôme, fêtait ses 25 ans en 2023.

Depuis 20 ans, beaucoup de bière a brassé sous les ponts. Le marché de la microbrasserie est devenu très compétitif. Saturé? Pas tout à fait, mais l’espace de croissance est beaucoup plus limité par un consommateur exigeant, une économie qui bat de l’aile et des obstacles importants à la croissance.

Les microbrasseries au Québec en quelques chiffres

En septembre 2024, la province de Québec comptait 331 permis de brassage, dont 99 étaient des permis de brassage artisanal et 232 étaient des permis de brassage industriel. Alors que le nombre de brasseries a doublé depuis 2016, le nombre de révocations augmente doucement depuis 2010 et était rendu à 9 sur l'année en mai 2024.

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Avec l’augmentation des coûts de matières premières, des installations, de l'inflation, les coûts de démarrage atteignent facilement un million et demi de dollars.

Une industrie vulnérable

Bien sûr, la bière est un produit particulier : l’alcool est euphorisant, la vente est hautement contrôlée et la taxation est bien plus stricte que dans de nombreuses autres industries. Le résultat est un mélange de lois souvent désuètes qui se chevauchent, plaçant les microbrasseries dans une suspicion exceptionnelle, souvent impossible à surmonter.

Marie-Eve Myrand déplore l’odeur persistante de la prohibition dans la réglementation provinciale. Du fût à la facture, le gouvernement impose de nombreux obstacles mais offre peu de flexibilité. Les microbrasseries sont taxées dès l’embouteillage via la taxe d’accise fédérale. Ensuite, il y a la taxe spécifique sur l’alcool du Québec, suivie de la TPS et de la TVQ, créant ainsi des taxes sur des taxes.

À cela s’ajoute le timbre de droit, une étiquette obligatoire apposée sur les bières vendues sur place dans les bars et restaurants du Québec. À l’époque, le gouvernement cherchait à contrer l’évasion fiscale, car les taxes sur les boissons alcooliques vendues en magasin étaient plus élevées que celles appliquées aux boissons alcooliques servies dans les bars et restaurants.

Le hic, c’est qu’en 2014, l’écart entre ces deux taxes a été réduit à zéro par le Québec, éliminant ainsi la raison d’être du droit de timbre. Marie-Ève a du mal à expliquer cette contradiction : le gouvernement « a déjà choisi son camp et a opté pour la mise en place d’outils d’enregistrement des ventes ». En 2020, un projet de loi comprenant une disposition pour abolir le droit de timbre a été présenté, mais le projet a été mis en suspens indéfiniment.

Un autre point de friction pour l’AMBQ est la vente en ligne. Les microbrasseries n’ont pas le droit de vendre et de livrer leur alcool en ligne, contrairement à la SAQ et la SQDC, ce qui rend la vente en ligne pratiquement impossible. « Nous ne pouvons ni le faire nous-mêmes ni passer par un tiers », explique Marie-Eve. « Nous pouvons vendre en ligne, mais il faut se déplacer pour récupérer la commande ».

Marie-Eve qualifie cette situation d’immobilisme. « Contrairement à nos collègues brasseurs, qui peuvent prédire avec précision le moment où leur bière sera prête en surveillant le processus de fermentation, nos interactions avec les autorités gouvernementales restent imprévisibles, soumises aux aléas de la politique provinciale. Quand les brasseurs commencent leur fermentation, ils savent quand la bière sera prête. Quand l’AMBQ propose un projet de loi, nous ne savons jamais quand il sera adopté. »

L'AMBQ : porte-parole des micro du Québec

L’AMBQ joue un rôle d’intermédiaire entre les entrepreneurs brassicoles et le gouvernement. D’un côté, elle explique la réalité des brasseurs aux politiciens, et de l’autre, elle éclaire les brasseurs sur les réalités politiques. Le conseil numéro un : armez-vous de patience. Politiquement, l’alcool est un secteur stagnant. Alors que la brasserie fonctionne au rythme régulier des brassées, le gouvernement, lui, opère sur l’échelle des années.

Chaque année, l’Association des microbrasseries du Québec célèbre les grands contributeurs de la scène microbrassicole en décernant six prix pour l’entrepreneuriat, la croissance et l’empreinte environnementale. Le gala clôture le congrès annuel, véritable lieu de rassemblement des brasseries des quatre coins de la province. C’est l’occasion de retrouver de bons amis, de rencontrer des fournisseurs et de s’informer sur les dernières tendances de l’industrie grâce à un solide programme de conférences. Les microbrasseries sont libres de s’inscrire seules pour participer à la compétition amicale.

logo AMBQ

Marie-Ève donne l’exemple d’un projet de loi récemment soumis au Parlement sur les redevances sur l’eau. Dans ce dossier, l’AMBQ joue un rôle de chien de garde pour s’assurer que les redevances ne deviennent pas préjudiciables pour les microbrasseries.

De plus, l’AMBQ propose un programme d’accompagnement pour le démarrage d’entreprises brassicoles, incluant la formation et l’aide à la promotion.

« Le mandat de l’AMBQ consiste à aligner les priorités de toutes les microbrasseries membres dans leurs requêtes collectives face au gouvernement. Or, la liste des doléances est longue et les besoins sont pressants. Mais la lenteur du gouvernement dans la résolution des enjeux brassicoles décourage de nombreux entrepreneurs. Si la tâche est si difficile, c’est parce que l’alcool est un univers à part, légalement, fiscalement et culturellement. »

Les détaillants : les partenaires de l'ombre

Dans l’équation de la vente de la bière, il est crucial de reconnaître le rôle clé du détaillant. Il est indéniable que la gestion de la catégorie de la bière représente un défi pour les détaillants. Parmi tous les produits qu’ils proposent, tels que les petits articles et les conserves de tomates, la bière ne figure pas toujours en tête de leur liste de priorités. Ils ne disposent pas nécessairement des ressources optimales pour maximiser les performances de cette catégorie.

Les détaillants s’attendent à un certain niveau de représentation, en particulier les grandes chaînes qui sont habituées à bénéficier d’un service clé en main. Certains se posent même des questions sur la manière de sélectionner leurs produits.

En 2022, pas moins de 4000 types de canettes différentes ont été mises en rayon, ce qui constitue une tâche ardue pour un détaillant. Cependant, il est crucial de reconnaître le potentiel financier intéressant que cette catégorie représente. Il est donc nécessaire de jouer habilement ses cartes pour en tirer le meilleur parti.

En bref ...

L’évolution rapide du secteur brassicole au Québec, marquée par le doublement du nombre de brasseries dans la dernière décennie, souligne le rôle vital des microbrasseries en tant que moteurs de revitalisation régionale. En plus d’offrir une expérience gastronomique et culturelle unique, les microbrasseries deviennent des centres de rencontres au cœur des municipalités, révélant ainsi des éléments historiques à travers la bière.

Malgré les défis dus à des lois restrictives et à des taxes complexes, ces établissements continuent de prospérer, illustrant leur résilience face aux obstacles administratifs et économiques. Leur contribution à l’économie locale et à l’identité culturelle ne peut être sous-estimée.

Rédacteur : Pierre-Olivier Bussières
Auteur du podcast Le Temps d’une Bière, producteur de Hoppy History et rédacteur en chef du média Le Temps d’une Bière.

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