En tant que consultant en bière ici au Québec, j’ai la chance de participer à des projets variés et stimulants au service de la bière. Deux initiatives récentes m’ont particulièrement marqué, et j’aimerais les partager. Elles m’ont amené à réfléchir à nos habitudes de consommation de bière dans la province, en les comparant à celles de mon Royaume-Uni natal et du reste du Canada.
En septembre, j’ai eu l’honneur de juger les candidatures à la Canada Beer Cup, tenue dans le cadre emblématique des chutes du Niagara. Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît : ces trois jours de dégustation intensifs, partagés avec 30 autres juges venus du Canada, des États-Unis, de l’Italie, du Mexique et des Pays-Bas, furent exigeants. Mais nous avons accompli notre tâche, et les résultats, publiés en octobre dernier, sont captivants pour le public québécois.
Bien que les brasseries du Québec soumettent souvent moins de candidatures que ce que notre population pourrait laisser supposer, la qualité est indéniable, comme le montrent les médailles des deux ou trois dernières années. J’aimerais partager quelques réflexions sur ce que notre province fait particulièrement bien et sur les raisons dont nous pouvons être fiers.
J’en profiterai aussi pour mettre en lumière quelques gagnants ! J’ai toujours su que notre scène brassicole est exceptionnelle, et les centaines de touristes amateurs de bière que je guide chaque année me le confirment souvent. Cependant, voir une compétition d’un tel calibre, organisée avec une rigueur intellectuelle et une intégrité exemplaires, couronner plusieurs brasseries québécoises de médailles d’or est une toute autre forme de reconnaissance.
L’autre révélation, survenue quelques mois plus tôt, a eu lieu lors d’un événement d’accords bières et fromages. Une analyse des habitudes d’achat du public est alors venue contredire mes suggestions sur les styles de bières qui se marient bien avec la nourriture. Avec un panel de collègues, nous aurions volontiers recommandé des blondes fumées, des sures vieillies en fût et des bières belges comme meilleurs accompagnements pour une sélection de fromages québécois. Cependant, même dans le secteur artisanal, ces styles ne représentent qu’une petite part des ventes, comparativement aux blondes, blanches, rousses et NEIPA.
Je suis reparti de cet événement avec une mission : encourager les amateurs de bière à franchir ce petit pas qui les mènerait du confort des styles familiers à la découverte de quelque chose de plus audacieux et novateur.
Plutôt que d’opter pour la sélection multicolore classique du dépôt, je vous propose une alternative : un multi-pack DIY que vous pouvez assembler vous-même dans n’importe quel bon supermarché ou dépôt de bières spécialisé. Parfait pour remplir votre réfrigérateur ou apporter à un dîner, il vous garantit d’avoir toujours quelque chose de pertinent à déguster, tout en évitant de vous perdre dans le labyrinthe des styles de bière trop excentriques.
La Saison est une bière traditionnelle pastorale du XIXe siècle, originaire des fermes de Wallonie, où les influences belge et française s’entremêlent harmonieusement.
Au Québec, les bières étiquetées « Blanche » s’inspirent le plus souvent du style belge, intégrant des zestes d’agrumes et une touche d’épices. Prenons l’exemple de la Saison Tradition de Brasseurs du Monde : elle se distingue par son caractère sec, zesté, herbacé et épicé, tout en étant légère et pétillante en bouche. C’est le compagnon parfait pour presque tous les plats, grâce à ses notes poivrées et herbacées qui rehaussent les saveurs, tout en équilibrant le sel et le gras.
La culture brassicole québécoise, fortement influencée par les traditions franco-belges, davantage que dans le reste du Canada, voit ce style gagner en importance. La Saison contribue ainsi à définir l’identité brassicole de la province, renforçant ce qui la distingue.
La Rauchbier est une bière brassée avec du malt fumé, originaire de Bamberg, en Allemagne. Autrefois courante, la bière fumée n’est plus aussi omniprésente qu’à l’époque où elle constituait la norme. Avant 1817, la torréfaction moderne du malt n’existait pas, et la seule manière de sécher le malt était de le passer directement sur un feu ouvert, ce qui conférait à toutes les bières une subtile saveur fumée.
Les médailles attribuées ces dernières années montrent que le Québec excelle dans cette catégorie. Pour les amateurs de bières maltées comme les rousses ou les brunes, savourer une bière fumée n’est pas un grand saut : il s’agit simplement d’une autre méthode de préparation du malt, conçue pour mettre en valeur la douceur naturelle des céréales. Ce goût fumé reste aromatique et n’ajoute ni lourdeur ni texture à la bière.
Un avantage notable de la Rauchbier est son affinité avec les plats cuits au grill, à la poêle ou au four : elle sublime tout repas de ce type. De plus, les bières fumées se déclinent en une variété de styles, allant des blondes légères à 3,5 % d’alcool, parfaites pour se désaltérer, aux « Winter Warmers » robustes à 12 %, idéales pour les longues soirées d’hiver. Une fois passé l’étonnement initial – et rassuré que ce goût fumé ne signale pas un AVC ! – vous découvrirez un univers de saveurs qui en vaut la peine.
En dehors des bières blondes, les IPA restent parmi les styles les plus populaires, avec un nombre croissant d’amateurs qui les comprennent et les apprécient, qu’il s’agisse des West Coast IPA, audacieuses et amères, ou des NEIPA, plus crémeuses et fruitées. Cependant, ces deux variantes présentent parfois des inconvénients, notamment leur taux d’alcool élevé et l’intensité parfois excessive de leurs saveurs.
Dans un contexte où la société est de plus en plus attentive à la santé, ou pour des personnes actives cherchant une option plus légère, les bières à faible teneur en alcool sont un segment en pleine croissance. Cette année, Kahnawake et Siboire ont brillé en remportant des médailles pour leurs bières houblonnées à faible degré alcoolique.
Ces créations représentent un véritable triomphe technique : parvenir à extraire autant de saveur et de complexité avec un taux d’alcool réduit témoigne d’une maîtrise exceptionnelle du brassage. Il y a encore quelques années, les IPA à faible teneur en alcool (<1 % ABV) et les session IPA étaient souvent perçues comme des versions diluées et moins satisfaisantes de leurs homologues plus puissants. Aujourd’hui, particulièrement au Québec, ces styles s’imposent comme des bières à part entière, riches en saveurs et dignes d’intérêt.
Lors des ateliers de dégustation de bières que je donne régulièrement à l'Isle de Garde, le style qui séduit presque à coup sûr les amateurs prétendant ne pas trop aimer la bière est la sour fruitée. Presque chaque brasserie en propose au moins une dans sa gamme de base. Bien que les bières à la framboise à 4 % acidifiées avec le Biokult soient une excellente introduction à la bière artisanale, elles ne représentent que la surface d’une catégorie infiniment riche et complexe.
À l’image des mondes du vin et du cidre naturels, les brasseurs maîtrisent avec brio les levures sauvages, qui acidifient naturellement la bière tout en ajoutant des couches de saveurs bien plus nuancées que les versions plus simples mentionnées précédemment. Qu’elles soient vieillies en fût, fermentées avec des fruits frais ou, souvent au Québec, avec du marc de raisin local, ces bières s’imposent comme un véritable succès à table. Aussi rafraîchissantes et fruitées qu’un Gose à la goyave, elles offrent un potentiel de pairing bien supérieur, avec des saveurs riches et multiples à découvrir.
Pour une parfaite démonstration de ce savoir-faire, ne cherchez pas plus loin que la bière historique médaillée d’or de La Souche. Élaborée à partir d’ingrédients 100 % québécois, cette bière est le fruit d’une collaboration exceptionnelle entre la brasserie, le plus grand expert québécois en bière, Martin Thibault, et Le Labo, célèbre laboratoire de levures québécois. Cette résurrection d’un style historique illustre brillamment l’impact que le Québec peut avoir sur la scène brassicole canadienne.
Le concours de cette année comprenait également quelques catégories expérimentales, conçues pour mettre en lumière ce qui distingue la bière canadienne sur la scène internationale. Je n’ai pas été surpris de voir des brasseries québécoises remporter des prix dans ces catégories, ayant moi-même été témoin de la passion et de l’ingéniosité de nos brasseurs pour valoriser leur terroir. Explorez la diversité des bières élaborées avec des ingrédients locaux : camérise, sapin, fleurs sauvages et, bien sûr, érable.
En fin de compte, en tant que consommateurs, nous avons aujourd’hui l’embarras du choix face à une offre si vaste qu’il est parfois difficile de s’y retrouver parmi des termes peu familiers. Par ailleurs, il est vrai qu’une médaille remportée en compétition, aussi prestigieuse soit-elle, ne garantit pas nécessairement que vous apprécierez le produit.
Cela dit, voici ce que j’espère vous transmettre : d’abord, si vous apercevez le logo « Gagnant de la Canada Beer Cup 2024 », sachez qu’il représente une véritable reconnaissance de qualité. Ensuite, avec mes quatre suggestions d’évolution de style, j’espère vous avoir offert une sorte de plan de route pour explorer de nouvelles expériences gustatives. En restant simple et en suivant les conseils ci-dessus, je suis convaincu que vous découvrirez quelque chose de nouveau qui saura vous plaire.
Rédacteur : David Spoerry
Consultant en bière de microbrasserie et spécialiste de la qualité des boissons. Certifié Cicerone et BIIAB L2 Beer.