Blanche ou blonde acide et citronnée

Les styles acidulés qui suivent, voir acides dans certains cas, avec grandement perdu en popularité au XXe siècle au profit des blanches plus douces. Jusqu’à tout récemment, seules quelques poignées de brasseurs s’affairaient à promouvoir ces types de bières en voie d’extinction. L’explosion brassicole nord-américaine ayant sorti certains de ces styles de leur torpeur, nous pouvons affirmer aujourd’hui que les bières acidulées gagnent du terrain, au grand plaisir de tout buveur en quête de rafraîchissement. Après tout, toute personne appréciant une limonade fraîche est susceptible d’adorer ces blanches (parfois blondes) acides et citronnées.

La classification et les descriptions suivantes proviennent des livres Les saveurs gastronomiques de la bière, Le goût de la bière fermière et Les paradis de la bière blanche, de David Lévesque Gendron et Martin Thibault.

Berliner Weisse

Aussi connues sous les noms de : Bière blanche de Berlin, bière sure de Berlin, bière de blé de Berlin
Dominantes

Les arômes citriques, la minceur et l’acidité font immédiatement penser à une limonade, mais en une version bien sèche.

Plusieurs dizaines de brasseries œuvraient à Berlin à la fin du XIXe siècle et il semble qu’une cinquantaine d’entre elles produisaient une bière de blé mince, légère, aigre… La parfaite bière de soif, quoi ! Au début du XIXe siècle, il semble même que les soldats de Napoléon, gourmands qu’ils étaient en ce qui concerne le territoire, se seraient entichés de la Berliner Weisse au point de la surnommer « Champagne du Nord ». On peut aisément imaginer qu’après une journée au front ou dans les camps, un grand verre de Berliner Weisse puisse avoir un effet des plus apaisants. En effet, la tranchante acidité citronnée constitue l’une des flaveurs les plus rafraîchissantes du monde de la bière. C’est d’autant plus vrai sachant que la Berliner Weisse titre généralement autour de 3 % d’alcool par volume. Le blé accentue l’impression de fraîcheur. Habituellement, la levure employée est plutôt neutre, par opposition aux souches de Weizen à la forte personnalité épicée et fruitée. Cependant, des esters fruités rappelant la poire ou la pomme ne sont pas hors du commun. Le houblon se fait extrêmement discret, voire imperceptible, et l’amertume suit évidemment ce souci de passer inaperçu. La fermentation lactique propulsée par des bactéries de type lactobacilles est toutefois emblématique du style et explique sa vivacité.

 

L’impression générale d’une Berliner Weisse en demeure une de simplicité désarmante. Après tout, pour mériter notre attention, pourquoi faudrait-il qu’une bière dépose sur notre palais une complexe procession de saveurs ? Pourquoi ne pas miser plutôt sur quelques flaveurs bien placées, bien appuyées et tabler sur ces forces en toute confiance, sans se compliquer la vie ? C’est le pari de la Berliner Weisse. Et bien qu’elle puisse s’avérer insatisfaisante lors d’une vague de froid de février, pour quiconque souhaite troquer la limonade pour une boisson moins sucrée, la Berliner Weisse représente une option à considérer sérieusement. Malheureusement, il en existe encore peu d’interprétations au Québec. Cependant, l’apparition de nombreux exemples ne saurait tarder dans un contexte où les nouvelles brasseries tentant de se démarquer foisonnent.

 

À noter qu'une autre dénomination, longtemps disparue mais aujourd'hui ressuscitée par certains brasseurs friands d'histoire, réfère à une bière très semblable à la Berliner Weisse. En effet, la Lichtenhainer, seraient une variante légèrement fumée de cette bière acidulée. Aucune brasserie d'origine ne brasse ce style éteint jusqu'à tout récemment. Il est alors difficile de juger de l'authenticité des exemples portant ce nom présentement. Cependant, si l'on croise une bière faisant référence à cet ancien type de bière autrefois populaire dans les villages autour de Lichtenhain, il faut s'attendre à une bière légèrement acidulée, lactique, sèche et à peine fumée.

Gose

Aussi connue sous le nom de Leipziger Gose
Dominantes

Une tuile de coriandre et de sel tapisse une base agile qui dénote une harmonie entre céréales délicates et acidité franche.

Bien qu’elle ne soit pas tout le temps « blanche » (sa robe se rapproche parfois de l’ambre), cette bière acidulée carbure aux mêmes saveurs et à la même texture qui plaît habituellement aux amateurs de Witbier ou de Berliner Weisse. Comme la Grodziskie polonaise, ce type de bière a vécu quelques décennies dans l’oubli total, alors que sa production locale, initialement à Goslar, puis à Leipzig, en Saxe allemande, fut anéantie faute de brasseurs désirant la produire. Un tenancier de bar à Leipzig, vers la fin du dernier millénaire, décida ensuite de faire cavalier seul et de mousser la production de la Gose en promettant de spécialiser son bistro, nommé Ohne Bedenken (toujours en activité à ce jour), en Gose. Aujourd’hui, grâce à la passion du Nouveau Monde pour des bières racées de provenances et de cultures diverses, la Gose se sert bien au-delà des portes du Ohne Bedenken.

Bien que l’utilisation de sel dans sa confection puisse, sur papier, faire sourciller certains amateurs (en réalité, le sel ne fait qu’ajouter une touche minérale au moût), c’est son parfum de graines de coriandre franches et sa finale acidulée très rafraîchissante qui rallient tout un chacun. L’intérêt pour les bières sures grandissant d’année en année dans les établissements spécialisés, la Gose peut se permettre de voir l’avenir en rose. Et pour cause : lorsqu’un brasseur sait doser toutes ces composantes avec justesse, c’est un des styles de bière les plus mémorables du monde.

Gueuze

Aussi connue sous les noms de : Geuze, Oude Geuze
Dominantes

Une intense acidité pommée et citronnée tire avec elle de multiples arômes rustiques comme le bois, le caveau de terre, la poussière et le foin.

La Gueuze est le fruit d’un raffinement de plusieurs Lambics à différents niveaux de mûrissement (normalement d’un an à trois ans) conditionnés en bouteille pour une autre année. Alors que le Lambic non assemblé démontre souvent des signes de rusticité exacerbés, la Gueuze propose plutôt la rencontre de brassins sucrés et de brassins secs, ainsi qu’un dosage d’acidité gracieuseté du maître de chai qui sélectionne les barriques. C’est le nec-plus-ultra de l’univers du Lambic.

 

Une poignée de brasseurs du Pajottenland belge font leurs propres Lambics. Les Cantillon, Boon, Girardin et 3 Fonteinen, par exemple, conçoivent leurs propres moûts et l’ensemencent de façon spontanée dans des bacs refroidisseurs avant d’envoyer le résultat dans des barriques de bois elles-mêmes nappées d’une flore fermentaire complexe. Mais il y a aussi des assembleurs de Lambic, comme Tilquin, De Cam et Hanssens, qui achètent leurs moûts des brasseurs et l’ensemencent eux-mêmes, créant des assemblages de Gueuze au même titre que leurs pourvoyeurs. Non moins envoûtantes, ces bières spontanées sont tout aussi respectées, provenant elles aussi d’une fermentation naturelle teintée par le mélange sauvage ayant imprégné le bâtiment et les barriques dans lesquelles elles ont mûries.

Lambic

Variantes

Bière de fermentation spontanée, Gueuze, Kriek, Framboos, Lambic aux fruits

Dominantes

Les arômes fermiers de foin, de même qu’une acidité tranchante rappelant le citron, détonnent dans ces bières aux méthodes de production aux antipodes du brassage moderne.

Il n’existe pas un amateur de bière qui n’a pas été marqué par sa première rencontre avec le Lambic, cette bière traditionnelle de la région du Pajottenland, en banlieue de Bruxelles. D’aucuns, généralement très bien préparés avant de passer à l’acte, font état d’un coup de foudre, mais la plupart de ces premières interactions se soldent par une grimace bien sentie. Le Lambic possède en effet un profil aromatique très particulier. Les bières modernes sont normalement fermentées à l’aide de ferments entretenus en laboratoire. Les bières qui en résultent sont conséquemment… polies ou même respectueuses en ce qui a trait à l’impact de la fermentation sur les saveurs du produit final. Or, le Lambic table plutôt sur les ferments dits sauvages, ou présents naturellement dans l’air libre, et à plus forte raison dans l’entourage d’une brasserie qui fournit un environnement propice à leur prolifération.

Dans le processus traditionnel de brassage d’un Lambic, un moût à base de malt Pilsener et de blé non malté, similaire à celui d’une Witbier, est produit. Ensuite, plutôt que de le refroidir le plus rapidement possible et de l’inoculer d’une levure domestiquée, le brasseur laisse le moût refroidir à l’air libre, au contact des levures sauvages et bactéries bien heureuses de trouver cette nourriture – les sucres du moût –  à leur portée. Les agents de fermentation s’intègrent donc au moût et lui imprègnent lentement mais sûrement leur singulière personnalité. Assez rapidement, les bactéries lactiques que sont les pediococcus et les lactobacilles acidifieront la bière, lui donnant des accents de yogourt nature et de citron en alliage avec le blé. À plus long terme, les levures sauvages appliqueront leur empreinte aux nuances rappelant tantôt les fleurs sauvages, tantôt les épices, tantôt les fruits tropicaux, les agrumes, le foin, la laine, le cheval, l’herbe mouillée… le tout en consommant des sucres complexes qu’une levure plus « normale » ne parvient pas à transformer. La bière qui en découle s’avère donc particulièrement sèche, voire carrément dépourvue de sucres résiduels. Par ailleurs – pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué –, le Lambic traditionnel séjourne longuement en fûts de chêne, jusqu’à plusieurs années. Pour contrôler l’inévitable différence du caractère de la bière vieillie dans une barrique plutôt qu’une autre, le brasseur se fait aussi assembleur, c’est-à-dire qu’il embouteillera ses offrandes à partir de mélanges du contenu de plusieurs fûts différents selon son appréciation du caractère de chacun.

Parmi les variantes de Lambic, il existe une multitude de versions auxquelles des fruits ont été ajoutés. Les plus communs sont la griotte et la framboise, mais de nombreux autres fruits sont occasionnellement employés, notamment la fraise ou divers cépages de raisins. Une variante des plus intéressantes est la Gueuze. Il s’agit d’une combinaison de brassins de Lambics de divers âges, par exemple de un, deux et trois ans. Le jeune Lambic est relativement doux, ou pas parfaitement atténué ; à l’embouteillage, ses sucres résiduels pourraient éventuellement nourrir les agents de fermentation afin de produire l’effervescence désirée d’une bouteille. À l’opposé, le Lambic âgé de plusieurs années dévoilera un caractère fermentaire très marqué, les levures sauvages, entre autres, ayant eu tout leur temps pour développer leur bavarde personnalité.

Le Lambic est l’un des types de bières les plus acides de la planète. Néanmoins, bien qu’une majorité de dégustateurs perçoivent une acidité plus importante dans le Lambic traditionnel que dans un vin moyen, les pH du Lambic et du vin sont en fait très rapprochés, tous deux oscillant entre 3,1 et 3,7. La plupart des autres bières blanches dont il est question dans ce livre affichent plutôt des lectures de pH entre 4,0 et 5,0. Le Lambic profite bien de cette acidité pour constituer aussi l’une des familles les plus rafraîchissantes de l’univers de la bière. Ce qui est le plus remarquable est toutefois que ce rafraîchissement ne se fait pas au détriment de la complexité, à l’opposé du Berliner Weisse dont il était question préalablement. En effet, grâce à son écosystème fermentaire unique, la famille des Lambics produit certaines des bières les plus complexes et riches en nuances du monde. De nos jours, plusieurs brasseries extérieures à la Belgique, les Jolly Pumpkin, Allagash et autres Bruery, ont tenté de produire leur propre interprétation du Lambic ou de la Gueuze. Bien que certaines de ces offrandes aient été dignes d’intérêt, elles étaient souvent accompagnées d’une tarification autrement plus salée que les originales concoctions belges.

À noter que les descriptions ci-dessus s’appliquent uniquement aux Lambics traditionnels sans ajouts de sucre et non pasteurisés. La nuance s’impose puisque de nombreux producteurs concoctent effectivement des produits commercialisés sous le nom de Lambic qui s’éloignent des balises traditionnelles de ce type de bière fortement austère. Notamment, plusieurs produits aux fruits de gammes comme Chapeau, Lindemans, Belle-Vue, Mort Subite se montrent plus sucrés qu’aigres.

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