Fumées

Quelques types de bières de par le monde de forgent leur identité par les malts fumés desquels ils sont en partie conçus. La couleur de ces bières importe un peu ; les flaveurs dominantes sont la fumée utilisée afin de sécher ou torréfier des malts. Ce fumet fumé peut provenir du bois de hêtre, de cerisier, de chêne, de la tourbe, etc.

Grodziskie

Aussi connue sous le nom de Grätzer
Dominantes

D’entreprenantes bulles propulsent le blé fumé qui lui, chevauche une belle minéralité bordée soit d’amertume, soit d’acidité (selon les exemples).

Imaginez un poisson blanc délicatement fumé et vous vous mettrez dans l’état d’esprit nécessaire à la dégustation d’une Grodziskie. Originaire de Pologne, ce style a vécu de grands moments de popularité dans l’ouest du pays ainsi qu’en exportation, jusqu’à ce que l’Europe se lance dans les guerres sanglantes du XXe siècle. Une fois la production nationalisée et sa consommation réduite considérablement, la Grätzer – nom allemand de ce style – a été reléguée aux oubliettes par manque d’intérêt. Ceux qui sont familiers avec l’histoire de la Berliner Weisse y verront plusieurs similarités (une seule brasserie contrôlant toute la production, cannibalisant en quelque sorte une partie de la notoriété du style), même si les causes de son déclin diffèrent.

Depuis l’avènement de la révolution microbrassicole, ce type de bière fumée, comme plusieurs autres d’ailleurs, renaît de ses cendres. L’intérêt mondial pour la bière de qualité demande la variété et la Grodziskie, pour certains brasseurs, fait partie de l’offre parfois historique, parfois insolite, qu’une brasserie peut présenter. Son malt de blé fumé au chêne la rend unique ; aucun autre style de bière traditionnelle au monde n’utilise le chêne comme élément de fumaison (la Rauchbier allemande profite du hêtre, le Smoked Porter anglais met en valeur la tourbe et la Stjørdalsøl norvégienne est fumée à l’aulne). Le caractère du chêne, relativement doux, rappelle moins le jambon que le plus commun malt fumé au hêtre, proposant à la place des vapeurs fruitées.

Contrairement aux autres styles fumés susmentionnés, la Grodziskie demeure toujours délicate, autant dans sa fumaison céréalière que dans son profil gustatif et sa texture. Très effervescente et faible en alcool, elle constitue l’introduction parfaite à ce type de saveurs dans la bière. Élégante à souhait, on comprend dès la première gorgée pourquoi ses amateurs la surnommaient jadis le « champagne de la Pologne ».

Rauchbier

Pas de la bière au bacon, mais…
Dominantes

Un malt d’orge fumé au bois de hêtre s’allonge sur des notes de céréales légèrement caramélisées, dressant une finale sèche et plutôt boisée.

Particularités

Autrefois, toutes les bières étaient passablement fumées à cause des procédés de séchage des malts qui nécessitaient l’utilisation du feu de bois. On retourne donc dans le temps lorsqu’on boit une Rauchbier allemande.

La brasserie Heller-Trum, de Bamberg, produit la Schlenkerla Märzen Rauchbier, une des bières de ce type les plus connues au monde. Son intensité fumée est mémorable, alors il est facile de croire qu’il en est de même pour la majorité des autres Rauchbiers du même coin de pays. Toutefois, la Schlenkerla est de loin la plus fumée du lot, l’entièreté de ces céréales ayant été fumée; les autres brasseries franconiennes productrices de lagers fumées préfèrent un dosage plus équilibré et la proportion entre malts fumés et non fumés varie grandement.

Rauchweizen

Aussi connues sous les noms de: Smoked Weizen, Smoked Hefeweissbier, Smoked Hefeweizen, Smoked Wheat
Dominantes

Le bois fumé se prélasse au-dessus des notes fruitées et épicées de la levure. Il n’y a de place pour aucune autre subtilité.

La Rauchweizen représente encore, à l’heure de rédiger ces lignes, un style rarissime. Pourtant, la combinaison de flaveurs est loin d’être sans intérêt. Effectivement, nous combinons ici deux des ingrédients ayant le plus de personnalité dans l’univers de la bière. Il est question de la levure à Weizen, avec ses irrésistibles notes fruitées et épicées, et du malt fumé au bois de hêtre, une spécialité originaire de la région allemande de la Franconie. La souche de levure utilisée pour fermenter les Weizens est en fait l’une des rares souches pouvant éventuellement développer des notes rappelant la fumée. Le pont avec l’emploi de malt fumé paraît donc immédiatement aussi naturel que l’ajout de café bien torréfié dans un gâteau au chocolat profondément noir.

Bien que la plupart des exemples commerciaux titrent environ 5 % d’alcool à l’image de la majorité des Rauchbiers, il n’est pas nécessaire d’être muni de dons divinatoires pour imaginer que des versions ou bien plus légères ou renforcées risquent d’être mises en marché au cours des prochaines années. Peu importe le degré d’alcool toutefois, il s’agit de bières aux arômes de fumée et de levure concentrés, lesquels contrastent avec le corps aérien qui diffère bien peu de celui d’une Weizen, si on met de côté les nuances toastées. Légèreté de corps, intensité de saveurs, que peut-on désirer de plus ? Et c’est sans compter que les notes de fumaison du malt s’acoquineront on ne peut plus facilement avec des mets ayant séjourné sur le gril, ayant subi une certaine caramélisation ou ayant évidemment passé par le fumoir. Hors de tout doute, la Rauchweizen est d’une détonante flexibilité à table.

Rauchbock

Dominantes

Des saveurs caramélisées et légèrement fruitées (une combinaison qui est une gracieuseté des malts de type Munich) s’agencent à de langoureuses saveurs fumées issues du bois de hêtre.

Particularités

La Rauchbock est la version corpulente de la Rauchbier. Disponible pour l’hiver, elle est habituellement produite par une brasserie reconnue pour sa Rauchbier. La version Rauchbock devient donc un cadeau du temps des fêtes dans plusieurs cas : une lager chaleureuse et riche qui ne se gêne pas de partager ses flaveurs fumées. Un véritable feu de foyer liquéfié.

Sahti

L’élixir des forêts de la Finlande
Synonymes

Lorsque combiné aux mots « kivi » (pierre) ou « kataja » (genévrier), le terme « olut » (bière, en finlandais) fait souvent référence au Sahti.

Dominantes

Des céréales caramélisées soyeuses remplissent la bouche, assaisonnées de la discrète verdure du genévrier, d’esters de banane et de chaleur d’alcool.

Le terme ‘Sahti’ englobe toutes les bières traditionnelles produites dans la moitié ouest de la Finlande. Comme il est souvent le cas pour une tradition fermière, les variations de recettes sont abondantes. Il devient donc difficile de cerner la Sahti rapidement puisque ses saveurs, ses textures et ses couleurs (blonde, ambrée, brune, etc.) fluctuent d’une brasserie et d’une ferme à l’autre. C’est pourquoi il est mieux, selon l’auteur local Mika Laitinen, de voir la Sahti comme une famille de bière. Les Américains aimant tout catégoriser l’appellerait probablement « Finnish Strong Ale » s’ils étaient conscients de ses nombreuses itérations. La Sahti possède donc un profil de saveurs plus large que la Koduõlu des voisins estoniens. Ces bières finnoises ne sont pas plus complexes cependant ; elles aussi ont plutôt tendance à jouer sur une poignée de flaveurs très dominantes.

 

Les travaux de Mika Laitinen nous permettent aussi de régionaliser cette tradition relativement obscure aux yeux du reste de la planète. En effet, l’extrême ouest du territoire finlandais, autour d’Isojoki et de Karvia, se spécialiserait en une Sahti de seigle (auquel participe aussi l’orge, le blé et/ou l’avoine). Une bière richement maltée aux sucres résiduels suaves et possédant une chaleur d’alcool rehaussée par la personnalité épicée inhérente au seigle (cru et malté). Chose étonnante, les brasseurs de ce territoire bouillent la maïsche, ce qui est très rare de nos jours, que ce soit en Scandinavie ou dans le reste de l’Occident. Le village d’Isojoki compte aussi sur une « académie » du Sahti, la Sahtiopisto, qui est en quelque sorte un club de brasseurs auquel toute personne peut adhérer afin de brasser, ou d’apprendre à brasser, le style du coin. Cette organisation possède évidemment sa propre brasserie, mais aussi son propre séchoir à malts.

 

Plus près de Lammi, soit à 200 kilomètres au sud-est de la région du Sahti de seigle, on rencontre plutôt des Sahtis d’orge, mais encore plus liquoreux et foncés que leurs compères épicés. Avoisinant souvent les 10% d’alcool, nous sommes ici en présence de bières roboratives, généreuses de leurs sucres résiduels céréaliers. Tout comme les Sahtis de seigle, ce sont des bières somme toute fragiles, puisque non filtrées, non pasteurisées, rarement houblonnées et, parfois même, non bouillies. Elles doivent être consommées en l’espace de quelques semaines, sinon, elles s’acidifient rapidement. Un profil gustatif moins désiré de certains Finlandais traditionnalistes.

 

Finalement, à l’est du lac Päijänne (mais toujours dans la moitié ouest du pays), on retrouve également des bières à prédominance d’orge. Ces Sahtis sont cependant moins sucrés et sertis d’une pointe d’acidité qui plairait sans doute moins aux brasseurs de l’ouest. Ici aussi, on brasse encore à l’occasion dans le sauna familial, cette cabane près de la maison qui servait également de fumoir et même, jadis, comme endroit où donner naissance. Ceci dit, le malt principal utilisé pour brasser la Sahti aujourd’hui, de l’extrémité ouest du pays à l’est de grand lac, est pâle et non fumé, contrairement à ce qui se faisait avant les années ’60 alors que les brasseurs finnois préparaient leurs propres malts. De nos jours, les brasseurs, petits et grands, s’approvisionnent en malts chez Viking Malt, une compagnie qui confectionne ses propres mélanges de malts responsables pour la signature « moderne » du Sahti.

 

Le Sahti est relié à la Koduõlu estonienne, certes, mais des corrélations peuvent également être dressées avec la Vossaøl norvégienne et la Gotlandsdricke suédoise. Entre autres, des branches de genévrier sont mises à profit afin d’aromatiser – et même d’assainir, selon certains – l’eau de brassage. D’autres branches, garnies de baies ou pas, sont étalées au fond de la cuve de filtration et entrent donc en contact avec le moût. En bout de ligne, une fois la fermentation terminée et la bière rendue dans la chope, ces branches de genévrier prennent plus de place en bouche que le houblon. Nous ne faisons que commencer à comprendre l’importance du genévrier dans les traditions brassicoles du nord de l’Europe…

Smoked Porter

Aussi connue sous le nom de : Porter fumé
Dominantes

Du chocolat noir et des céréales torréfiées soutiennent une fumée de tourbe (rappelant celle de certains whiskies écossais) ou de bois (souvent le hêtre).

Particularités

De toute évidence, nous avons affaire à une version fumée du Porter classique. Habituellement, le brasseur cherche un équilibre entre les flaveurs de fumée et les saveurs « de base » des malts torréfiés du Porter.

À moins que vous n’ayez une version forte de ce style (dans les 7-8 % d’alcool et plus), il est rare qu’on gagne à faire vieillir ce type de bière. Le caractère fumé s’amenuise lentement et l’équilibre gustatif du produit a tendance à se déconstruire.

Stjørdalsøl

Une colonne de fumée dans la noirceur hivernale
Synonymes

Maltøl

Dominantes

Le malt d’orge fumé au bois d’aulne s’étale longuement sur le palais, chevauchant quelques sucres résiduels caramélisés et une trame fruitée provenant de la fermentation.

Bien que près de 500 personnes brassent de la Stjørdalsøl dans la région tout juste à l’est de la ville de Trondheim, dans le centre-nord norvégien, peu de gens, amateurs de bière ou non, connaissent ce style bien précis. Les raisons sont multiples. Premièrement, les brasseurs du coin s’exécutent surtout à Noël. Le reste de l’année, ils vaquent à leurs occupations habituelles de fermiers, d’ingénieurs, etc. Étant donné qu’il est rare pour un étranger de se promener pendant le temps des Fêtes dans les villages autour de la bourgade de Stjørdal, là où ces brasseurs se terrent, ce type de bière fumée ne se rend que très peu souvent ailleurs sur la planète brassicole.

 

Qui plus est, la grande majorité des brasseurs de Stjørdalsøl opèrent une petite brasserie en retrait de la route, souvent loin derrière une maison ou une ferme. Cette distance s’explique facilement. Ces brasseurs maltent leur propre grain et l’étape du séchage du malt se fait à l’aide d’un feu direct. La malterie, parfois même construite en bois, se doit d’être placée en retrait de la maison afin de ne pas permettre au feu de se propager et d’ainsi consommer les bâtiments environnants.

 

Les 25 et 26 décembre, alors que les familles de Stjørdal s’adonnent à de grands soupers garnis de pinnekjøtt, de lutefisk, de patates, de navets et autres richesses de la ferme, les brasseurs en profitent pour offrir leur bière à coup de centaines de litres. Surtout, ces brasseurs se regroupent et organisent des dégustations, des compétitions informelles lors desquelles ils peuvent essayer de dix à une vingtaine d’exemples différents.

 

Lorsque la saison des Fêtes tire à sa fin, la plupart des Stjørdalsøls de l’année atteignent le fond du baril. Le prochain brassin attendra le Noël suivant, à moins que le brasseur célèbre un mariage ou une autre fête importante dans sa famille.

 

Le côté fermier de cette bière provient donc de l’orge, souvent cultivée chez un voisin, et du malt qu’on en fait soi-même avant de brasser. Une brasse de Stjørdalsøl équivaut donc à 9-10 jours de maltage, suivie d’une journée complète afin de créer le moût et une semaine de fermentation. En bout de ligne, les saveurs ne sont pas ‘sauvages’ ou immensément rustiques. Mais personne ne peut douter du travail acharné qu’effectue ces Norvégiens vivant au 63e degré nord.

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