Rustique Épicée et fruitée

Quelles soient blondes, ambrées, brunes, fortes, ou désaltérantes, les bières désignées par les termes décrits dans cette famille abordent toutes un profil de flaveurs rustique bien surprenant pour quiconque ne s’y attend point. Les méthodes de brassage, les levures et parfois même l’équipement utilisé par les brasseurs sont la source de ces notes campagnardes évidentes. La révolution microbrassicole nord-américaine a, en quelque sorte, revitalisé ces types de bière, tout en faisant naître plusieurs interprétations qui ont peu à voir avec les exemples d’origine. Chose certaine, une bière étiquetée d’un des termes suivants sera un gage d’une expérience gustative hors du commun.

Bang Chang

Une bière de récolte dans l’Himalaya
Dominantes

Des notes fruitées (poire, pomme), terreuses et florales (sureau) rencontrent une acidité rafraîchissante atténuée par l’eau de service tiède et les nombreuses protéines du blé en suspension dans la tasse.

Avant que la mousson de l’été n’atteigne les champs du Bhoutan, permettant aux fermiers de semer le riz, c’est le blé qui occupe la majorité de la superficie des terres agricoles. Une des traditions gourmandes les plus ancrées dans la culture locale est celle de concocter une boisson alcoolisée, nommée Bang Chang, à partir de ce blé. Accompagnant les longues randonnées en montagne et offerte à tout visiteur de passage sur la ferme, cette bière de blé est empreinte de la signature fermentaire proposée par les galettes de céréales moulues, de plantes, d’écorce séchée et de moisissures que les fermiers saupoudrent sur le blé cuit pour le transformer en alcool.

 

Le rituel de service de la Bang Chang diffère grandement de toute bière occidentale. Au lieu de rajouter l’eau pendant le brassage de la bière, et donc bien avant la fermentation du moût, les Bhoutanais préfèrent mélanger l’eau au grain une fois que le dit grain ait été fermenté. Pour se verser une Bang Chang, il faut donc premièrement remplir de moitié un chaudron de grain cuit préalablement fermenté. Ensuite, on y rajoute assez d’eau pour combler l’espace dans le réceptacle. On place un petit panier d’osier au centre du chaudron, le poussant vers le fond à l’aide d’une louche. L’hôte presse ensuite le grain fermenté à l’aide de la cuillère de service, libérant le jus si caractéristique dans l’eau du contenant. C’est donc au serveur de juger du moment où il devrait arrêter d’écraser le blé parce que l’eau est suffisamment aromatisée. Une fois la décision prise, il verse la Bang Chang avec la même louche en récoltant le liquide dans le panier d’osier qui aura bloqué la plupart des grains flottant dans le chaudron.

 

Cette méthode de service rend la Bang Chang quelque peu difficile à cerner. Chaque fermier rajoute le ratio d’eau qu’il préfère et chaque moment de dégustation varie en fonction du nombre de fois qu’il aura dilué le jus du grain fermenté. Les premiers verres seront toujours plus savoureux que les troisièmes, plus aqueux. Ces verres de bienvenue ont également tendance à être plus limpides puisque le grain fermenté n’aura pas été écrasé aussi longtemps. Les dernières tasses sont d’une opacité désarmante pour le buveur moyen de bière occidentale.

 

Ceci dit, la Bang Chang se démarque aussi des styles de bière développés en Allemagne, en Belgique, en République Tchèque et au Nouveau Monde par la température à laquelle on la sert. En effet, l’eau rajouté au grain fermenté avant le service est souvent tiède, voire même chaude, à l’instar de celle qu’on utiliserait pour une tisane. Les Bhoutanais étant de grands buveurs de thé au beurre, ils dégustent aussi leur Bang Chang à une température qui réchauffe légèrement le palais. Mais le caractère fermentaire perce tout de même à chaque gorgée, construisant une trame florale, fruitée et acidulée fort agréable parmi les protéines céréalières en suspension.

Bière de garde

Une autre histoire de survie
Dominantes

Une touche terreuse, voire même rustique, sous-tend le profil céréalier, alors qu’une pointe houblonnée rappelant l’infusion de feuilles de thé rajoute à l’agrément.

Comme pour plusieurs traditions brassicoles fermières, le terme « Bière de Garde » est un passe-partout désignant des bières aux profils gustatifs variés mais d’origine commune. Surtout utilisé dans le nord de la France, il représente des bières souvent fortes, produites à partir d’orge et de houblons locaux, fermentées à haute température, mais gardées de longues semaines à froid, puis conditionnées en bouteille. Les affinités avec la Saison des Belges sont donc nombreuses. Tellement, que certains exemples, comme la Cuvée des Jonquilles, de la Brasserie Au Baron, pourraient carrément faire partie du portfolio des brasseurs de Saison wallonne classique, comme Dupont ou Blaugies.

Ce serait à la fin du 19e siècle qu’une tendance de consommation mit la Bière de Garde sur un chemin différent de celui emprunté par la Saison. Plus de 1 500 brasseurs artisanaux évoluant dans le nord du pays avant les guerres mondiales s’adonnaient à ce que nous appelons aujourd’hui un style malté et rustique. Cette tendance du début 19e siècle est d’ailleurs celle que nous aimons citer pour pointer les origines de la Bière de Garde du 21e siècle. Brassée en hiver et conditionnées à fraîche température au printemps, la Bière de Garde était conçue sur les fermes pour optimiser son potentiel de garde. Pour ce faire, elle tendait à être moins sèche que la Saison et plus forte en alcool, un profil résolument céréalier qui fonctionnait bien avec les levures allemandes que les brasseurs français préconisaient.

Comme dans plusieurs cas similaires, ce style campagnard fut mis au rancard suite aux sanglantes échauffourées des années quarante. Une poignée d’irréductibles continuèrent tout de même à brasser leurs recettes ancestrales malgré que la grande majorité de la population soit passée à des bières industrielles plus douces. Grâce à la Brasserie Duyck, et son succès avec la Jenlain Bière de Garde publicisée et brassée dans le style de l’époque, ce type de bière a pu reprendre du poil de la bête et ainsi inspirer une multitude d’autres brasseurs à suivre l’exemple malgré la nouvelle omniprésence des nombreuses brasseries plus modernes dans ces contrées.

Blonde de type belge

Aussi connue sous les noms de : Abdij Singel, Abbey Single, Belgian-style Golden Ale
Dominantes

Dans cette bière plutôt sèche à l’effervescence piquante, une levure fruitée et légèrement épicée complémente un subtil houblon herbacé et les malts blond pâle qui rappellent la baguette de pain sortant du four.

Particularités

La souche de levure et les températures de fermentation élevées engendrent des esters fruités absents des autres blondes désaltérantes.

Ces produits sont rarement disponibles au fût. La refermentation en bouteille permet souvent d’atteindre une effervescence plus vive, caractéristique de la Blonde de type belge.

Un houblonnage plus ou moins agressif constitue un des principaux facteurs de différenciation entre les produits. Typiquement, les brasseries belges utilisent le houblon de façon parcimonieuse. Cependant, plus récemment, certains brasseurs en font un usage plus libéral, si bien que l’amertume et les arômes floraux, herbacés et épicés qu’ils impartissent deviennent une dominante de leur Blonde de type belge.

Farmhouse Ale du Nouveau Monde

Le désir d’un retour aux racines
Dominantes

Un corps relativement sec et bulleux, généreusement serti soit d’houblons, soit d’épices, mène à une finale soit amère, soit acidulée. En d’autres mots, la bière peut se diriger un peu partout.

Voilà l’appellation responsable pour le bouquin que vous tenez entre vos mains. Quantité de brasseurs d’Amérique du Nord, surtout anglophones, apposent le terme « Farmhouse Ale » sur leurs bouteilles depuis le début du millénaire. Certains le font en hommage aux brasseurs de Saison, d’autres le font pour dire que quelques ingrédients proviennent de leur région et d’autres encore se prévalent le droit de faire référence aux traditions fermières simplement par romantisme. Après tout, l’histoire du fermier qui brasse de la bière pour nourrir – et parfois payer – les gens qui l’aident aux labours des champs a frappé l’imaginaire de plusieurs amateurs de bière.

 

Ceci dit, lorsqu’un brasseur du Nouveau Monde indique « Farmhouse Ale » sur une de ses étiquettes, il ne fait jamais référence à une autre des nombreuses traditions fermières de la planète brassicole que celle de Belgique ou du nord de la France. Aucune mention donc des recettes pratiquées par les cultivateurs scandinaves, baltes, himalayens, quechuas ou africains. Ceci n’est pas preuve d’à-plat-ventrisme ou de fermeture d’esprit, mais plutôt d’un manque de connaissances du reste de la planète brassicole. La littérature brassicole du 20e siècle, plutôt bien garnie en informations sur les styles d’Europe occidentale, n’offrait que quelques bribes sur les traditions brassicoles du reste de la planète. Les brasseurs se sont surtout inspirés de ces textes, bien sûr.

 

Aujourd’hui donc, on croise des « Farmhouse Ales » fermentées avec des brettanomyces, d’autres à la finale acidulée autant qu’une « Sour Ale » et d’autres même bourrées d’épices. Et pourtant : personne n’a tort. Tout est permis sous ce nom. Rien de nouveau sous le soleil puisque la révolution microbrassicole est ouverte d’esprit et friande de nouvelles saveurs. Reste que la confusion n’est jamais bien loin lorsqu’un consommateur inquisiteur s’intéresse au contenu de la bouteille achetée portant cet appel à la ferme.

Grisette

Aussi connue sous le nom de Farmhouse Ale
Dominantes

Des céréales aux allures de paille craquante évoluent dans un corps douillet muni de nuances herbacées gracieuseté du houblon, un tout rafraîchit par une gazéification piquante.

Difficile d’attacher la Grisette à un passé précis puisque très peu de documentation existe sur le sujet. Les bières de ce style que l’on peut déguster aujourd’hui demeurent donc des interprétations libres de ce qu’on imagine être une cousine minière de la Saison wallonne. Yvan de Baets nous dit d’ailleurs que le « gris » dans « Grisette » viendrait de la poussière grise qui recouvrait les vêtements des travailleurs des carrières. Les bières qu’on leur servait dans la province belge du Hainaut adoptèrent ce sobriquet en l’honneur de ces miniers assoiffés.

 

Plusieurs bières aux profils différents semblent avoir été disponibles sous le nom de « Grisette » à l’époque, mais celle que les brasseurs artisanaux du 21e siècle ont retenue a tendance à être légère en alcool, brassée avec une bonne quantité de blé et houblonnée généreusement de variétés nobles. Une description qui nous amène à terminer cette fiche sur une question : est-ce que la dégustation d’une Grisette d’aujourd’hui nous donnerait une meilleure idée de ce qu’était la Saison d’autrefois ? Après tout, la Saison du 21e siècle est bien plus forte en alcool et en houblons qu’elle l’était lorsque servie sur les fermes d’époque et la Grisette, elle, demeure facile à boire à grandes lampées puisque sèche, bien houblonnée et sous la barre des 5%...

Keptinis

Le pain quotidien de l’est lituanien
Dominantes

Des notes de pain grillé et de terre humide survolent une fumée délicate, des esters fruités et quelques houblons aux angles boisés.

Cette bière d’un brun opaque et très peu gazéifiée est issue de la grande famille des bières de campagne présente dans le nord-est de la Lituanie. Autrefois commune dans les maisonnées, elle est aujourd’hui maintenue en vie commercialement par un brasseur traditionnel du nom de Ramūno Čižo. Passionné des méthodes de brassage de sa région, il possède un petit musée qu’il trimballe de foire en festival, afin d’offrir des démonstrations de brassage de Keptinis dans ses vieux tonneaux de bois.

 

Maintenant équipée en acier inoxydable, la brasserie de Monsieur Čižo produit un litrage bien plus important que celui traditionnellement fait par quelqu’un qui brasse la Keptinis à des fins personnelles. Mais il possède toujours la souche de levure familiale et il cuit des pains à partir de son malt d’orge en phase d’empâtage, dans un four prévu à cet effet. Comme le veut la tradition de la Keptinis, la croûte extérieure de ce pain noircit, alors que le centre demeure pâle.

 

Deux autres brasseries font de la Keptinis présentement. L’excellente Kupiškio Alus embouteille sa propre Keptinis dans des flacons en verre de 750ml. La toute jeune Dundulio quant à elle, a commencé à brasser sa Kurko Keptinis à titre expérimental en 2016. Puisqu’elle provient d’une microbrasserie aux équipements contemporains, le rendu final de cette bière est moins rustique et plus bulleux que la recette originale. Nous pourrions croire que cette modernisation de la texture de la Keptinis aidera à mousser l’intérêt auprès de jeunes dégustateurs fascinés par l’essor des microbrasseries.

Saison

Le porte-étendard des traditions brassicoles fermières
Synonymes

Farmhouse Ale

Dominantes

Un houblon herbacé poignant s’agrippe à des céréales rappelant le foin, le tout scellé par une touche fermentaire poivrée et une longueur boulangère.

 

Voici sans aucun doute LE style de bière fermier qui a le plus évolué ces dernières décennies. Avec raison, c’est son histoire qui a inspiré des milliers de brasseurs nord-américains à en faire leur propre hommage. Le récit est simple, mais romantique et donc efficace : un fermier relativement pauvre n’ayant pas de deniers pour payer ses laboureurs travaillant à la sueur de leurs fronts, obtient respect et fidélité en donnant de la bière maison à tout le monde afin de nourrir, abreuver et même payer les salaires dus. Le 21e siècle brassicole désirant de plus en plus se rapprocher de ses racines, rien de mieux que ce retour sur un passé pas si lointain ou la bière représentait beaucoup plus qu’une simple gâterie.

 

Évidemment, pour des raisons évidentes, ces bières distribuées dans les champs ne titraient pas les 7% ou 8% d’alcool qu’atteignent de nombreuses Saisons contemporaines. Ces bières n’étaient pas nécessairement toutes houblonnées non plus avec la générosité de la Saison de la Brasserie Dupont, située dans le village de Tourpes en Wallonie belge, et qui est devenu l’archétype du style aux yeux des Nord-Américains. Ceci dit, il faut préciser que ces brasseurs du Nouveau Monde ont tant travaillé ce style que des interprétations absolument succulentes pullulent sur le continent et ce, du sud de la Californie aux Iles-de-la-Madeleine. Ces manieurs de fourquet ne sont peut-être plus fermiers à proprement dit, mais ils savent vraiment faire honneur aux Belges tout en sculptant des profils de saveurs aux connotations plaisamment rustiques.

 

Ces arômes typiques de la version contemporaine proviennent surtout des quelques souches de levures que les laboratoires occidentaux ont nommé « levure à Saison » ou « Farmhouse Ale Yeast ». Immensément populaires auprès des microbrasseurs pour leur profil poivré rustique et leur pouvoir d’atténuation – ces bières tendent effectivement à être presque toujours bien sèches –, ces souches de levain ont définitivement fait leur marque sur la scène brassicole « craft » du 21e siècle.

 

Pour terminer, il ne faudrait pas oublier que comme pour toute bonne bière fermière, les variations sous l’appellation « Saison » sont aussi nombreuses qu’il y a de personnalités différentes chez les troupeaux d’une ferme. C’est pourquoi on peut aujourd’hui trouver des Saisons noires, des Saisons fermentées avec des brettanomyces, des Saisons ambrées et épicées à la graine de coriandre, des Saisons « impériales » et donc très fortes en alcool, des Saisons sucrées, des Saisons très sèches, etc.

Sin Chang

La plus pure expression de la bière fermière du Bhoutan bouddhiste
Dominantes

, pamplemousse blanc et fleur de sureau évoluent dans un corps soyeux sans gazéification aucune scellé par une délicate acidité fruitée

Des milliers de fermes du photogénique royaume himalayen du Bhoutan vivent de façon autonome, produisant tous les légumes, féculents, produits laitiers et céréales dont elles ont besoin pour subsister. Cette culture d’autosuffisance les amène aussi à brasser de la bière pour eux-mêmes à partir de ce qu’ils récoltent dans leurs champs. La quintessence de la bière fermière, quoi.

 

Même si la population scharchop de l’est du pays préconise le maïs, la majorité des Bhoutanais cultivent le blé. La Sin Chang est donc souvent une bière forte de blé, issue de la fermentation anaérobique (sans oxygène) de grains cuits couverts de la poudre de galettes de levures, de bactéries et de moisissures séchées. Alors que la Bang Chang plus commune bénéficie d’un rajout d’eau avant la dégustation, la Sin Chang quant à elle est le liquide pur qui quitte le grain de blé cuit lorsque le ferment a réussi à le transformer en alcool. On le sert donc uniquement lors d’occasions spéciales : une cérémonie religieuse, une fête villageoise ou la visite de gens importants à la famille.

 

La clé du profil gustatif de la Sin Chang réside dans le gâteau séché que les Bhoutanais concoctent parfois eux-mêmes afin de fermenter leur grain. Dans tous les cas, que ce soit une confection personnelle sur la ferme ou la version de couleur blanche produite à Punakha et vendue dans tout l’ouest du pays, ces bagels de ferments sont constitués d’une poudre de céréale qui apporte des bactéries acidifiantes, des plantes locales sur lesquelles on retrouve des levures naturelles de divers types, et des moisissures provenant de galettes faites quelques mois auparavant. Ces dernières posséderaient les enzymes nécessaires à la conversion de l’amidon du grain cuit (mais non malté) en sucres fermentescibles.

 

Se faisant, le Bhoutan se veut certainement une des dernières cultures brassicoles sur la planète où l’on fabrique soi-même ses galettes de ferments à partir de ce que l’on trouve dans la nature. Lorsqu’on déguste une Sin Chang sur une ferme, on peut donc goûter directement au caractère fermentaire naturel du microcosme où l’on se trouve. Le blé, le millet ou le maïs utilisés affectant surtout la texture de la bière en question ; toute la place est laissée au fruité acidulé et floral créé par la potion fermentaire choisie par la fermière du moment.

Umqombothi (et autres bières traditionnelles africaines)

Un univers parallèle duquel on se rapproche
Synonymes

Chapalo, Chibuku, Dolo, Omalodu, Tella, Ushikundu et quantité d’autres noms provenant de centaines de dialectes du continent africain

Dominantes

Des notes fruitées tropicales plongent dans une acidité rafraîchissante enrobée d’une texture mi-gruau, mi-kéfir

Imaginez une Berliner Weisse insufflée de sucres laiteux, rajoutez quelques particules solides en suspension et diminuez considérablement la gazéification. Vous commencez peut-être à imaginer ce à quoi ressemble une vraie bière africaine. Brassée par des milliers de femmes, du Sénégal dans le nord-ouest du continent au Lesotho dans le sud-est, la bière traditionnelle de ces territoires culturellement complexes sont conçues d’une variété de céréales et de racines : le mil, le sorgho, le maïs, le manioc, la banane, etc.

 

Comme c’est le cas lorsqu’il découvre les Chichas des peuples quechuas d’Amérique du Sud, le buveur occidental doit d’emblée se résigner à trouver une bière peu sèche et bulleuse lorsqu’en sol africain. À prime abord, ces bières fermières acidulées ne sont guère faciles à boire à grandes lampées, étant munies d’un corps riche et nourrissant qu’on penserait presque consommer à la cuillère. Comme certaines bières fermières de Scandinavie (la Vossaøl et la Sahti, par exemple), le succès de ces boissons auprès de leur clientèle cible vient par le goût, oui, mais aussi par l’impression d’avoir nourri un tant soit peu à chaque gorgée.

 

Une seule fiche ne suffira jamais à présenter les douzaines de traditions brassicoles fermières présentes en Afrique, encore moins si on s’intéresse à leur importance culturelle. Pour obtenir un panorama plus précis de ce sujet aussi vaste que complexe, nous vous recommandons les ouvrages de Alain Huetz de Lemps, Boissons et civilisations en Afrique, et de Dany Griffon et Jean-Louis Hébert, Toutes les bières moussent-elles ?.

Vossaøl

La source du kveik
Synonymes

Vossabrygg, Heimabrygg fra Voss

Dominantes

Des céréales caramélisées goutues sont rafraichies par des pointes d’oranges confites, de branches de genévrier et de clou de girofle.

Dans plusieurs régions de la Norvège, la bière maison était ancrée dans les mœurs des familles. Dans « Brewing and Beer Traditions in Norway », écrit par Odd Nordland en 1969, on peut lire par exemple qu’une personne mourante s’assurait d’avoir du malt maison prêt à brasser afin qu’une bière puisse être servie à ses funérailles. Difficile de faire mieux pour prouver l’importance capitale de la bière sur les fermes de la Norvège d’antan, vous en conviendrez.

 

La région lacustre de Voss, tout près des majestueux fjords de l’ouest norvégien, renferme une de ces traditions encore vivantes. Ce qui est d’autant plus fascinant, c’est que la souche de levures ancestrale endémique à ce coin de pays est encore utilisée aujourd’hui – et elle possède un caractère aromatique unique. Tellement unique, qu’on jurerait que la bière est aromatisée à l’écorce d’orange confite. Mais cette personnalité fruitée et ses angles épicées rappelant le clou de girofle et la muscade proviennent du kveik : ce mélange de levures – trois différents saccharomyces cerevisiae – mutées par le temps et le partage entre brasseurs fermiers. Sigmund Gjaernes, chez qui un échantillon a été récolté afin de l’offrir à des banques de levures en Europe et en Amérique, garde toujours la souche originale séchée sur un anneau de bois accroché dans une de ses granges. Se faisant, il imite ses ancêtres.

 

Une autre clé permettant de révéler l’identité gustative de la Vossaøl réside dans l’utilisation des branches de genévrier. En faisant une infusion de branches vertes fraîchement cueillies, les brasseurs du coin soutiennent qu’ils aident à la conversion enzymatique des malts blonds qu’ils empâtent. Il n’est pas clair si cette croyance est un vestige d’une époque où les malts d’orge étaient sous-modifiés, et donc plus difficiles à travailler, ou si le genévrier a encore aujourd’hui un effet sur l’efficacité de l’empâtage. Cependant, nul ne peut douter de l’effet que ce bouillon de genévrier peut avoir sur le produit final. Comme pour certaines Sahtis de Finlande, toute l’eau de brassage bénéficie de cet apport parfumé du genièvre et, en bout de ligne, cette fraîcheur verte aux accents d’aiguille de conifère réussit à équilibrer les sucres résiduels des malts d’orge caramélisées. Un peu comme le houblon sait si bien le faire chez nous.

 

Afin d’obtenir la signature caramélisée de leur bière, les brasseurs de Voss bouillent leur moût très longtemps. Cela prend de quatre à six heures pour que le malt d’orge blond se transforme en vecteur de saveurs richement caramélisées. Suite à une fermentation à très haute température (de 39 à 42 degrés Celsius !), on obtient une bière forte aussi riche que la Dunkler Weizenbock des Allemands.  Encore une fois, comme la majorité des bières fermières traditionnelles de Scandinavie, d’Amérique du Sud, d’Afrique et de l’Himalaya, la gazéification y est presque absente. Ce manque de bulles rehausse donc sa texture nourrissante ; une qualité que les Norvégiens de Voss apprécient particulièrement dans le temps des Fêtes alors qu’ils agrémentent leurs célébrations de cette bière généreuse.

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