Levures et bactéries

DE VRAIES MAGICIENNES

Il semble être du devoir de tout livre de bière qui se respecte d’entamer son chapitre sur la levure par une citation semblable : « Le brasseur ne fait pas la bière, il fait le moût; la levure fait la bière ». En effet, force est d’admettre que sans levure, la bière n’est qu’un jus de céréales très sucré, voire visqueux et maladroitement équilibré par le houblon. Qui plus est, en réalisant dix brassins identiques où on ne changerait que la souche de levure, le caractère général serait à peine reconnaissable d’un brassin à l’autre!

Les diverses variétés de malt et de houblon étudiées auparavant sont certes distinctives; les différences entre les nombreuses souches de levure sont encore plus importantes. C’est d’autant plus vrai que les levures sont vivantes et évoluent dans le temps, devenant individuellement idiosyncrasiques à la manière des humains. Justement, la dissimilitude principale entre plusieurs styles de bière est la souche de levure employée. (...)

 

Traits distinctifs des différentes souches de levure

Traditionnellement, les levures à bière sont classifiées au sein de l’un de ces deux groupes : les fermentations haute (ale) ou basse (lager). Cette catégorisation comporte ses limites, mais demeure valeureuse à titre pédagogique. En une phrase, une fermentation basse se fait à température faible (généralement 10 °C à 13 °C), nécessite plus de temps, voit habituellement la levure s’agglutiner vers le bas de la cuve une fois la fermentation complétée et produit moins de flaveurs attribuables à la levure, laissant la vedette aux autres ingrédients. Vous l’aurez deviné, la fermentation haute a lieu à une température plus élevée (souvent entre 18 °C à 21 °C, mais potentiellement nettement plus élevée pour des bières d’inspiration belge), nécessite moins de temps, voit régulièrement la levure s’agglutiner en haut de la cuve en cours de fermentation et produit davantage de flaveurs attribuables à la levure. À ces deux groupes très répandus, certains ajoutent les levures de type Weizen utilisées pour les bières de blé qui possèdent des qualités aromatiques distinctives les rapprochant des levures sauvages, bien qu’elles se comportent comme des levures d’ale. D’autres distinguent aussi la fermentation spontanée, celle-ci commençant à partir des agents de fermentation présents dans l’air ambiant sans qu’une levure soit ajoutée au moût.

En approfondissant davantage le sujet, outre le type de levure tel que décrit ci-dessus, il semble y avoir quatre autres facteurs majeurs qui sont à considérer pour juger d’une souche de levure : son profil aromatique, sa capacité d’atténuation, sa température de fermentation cible et sa capacité de floculation.

Le profil aromatique découle du fait que lors de la conversion des sucres du moût, la levure produit bien plus que de l’alcool et du gaz carbonique. Ces deux éléments représentent l’immense majorité des produits dérivés de la fermentation en terme de masse, mais de nombreux autres composés sont engendrés. Bien qu’en moins grande quantité totale, ces composés ont un impact substantiel sur le profil aromatique de la bière. Une gamme étendue de flaveurs fruitées, sulfuriques, phénoliques et d’alcools supérieurs sont, entre autres, susceptibles de tirer leur origine de la souche de levure utilisée.

La capacité d’atténuation est l’aptitude de la souche à convertir les sucres du moût. On considère une forte atténuation comme la transformation d’une grande proportion des sucres vers d’autres identités chimiques, par exemple vers le dioxyde de carbone (l’effervescence) ou l’éthanol (l’alcool).

La température de fermentation cible est une fourchette limitée de plus ou moins 1 °C ou 2 °C où la souche produit ses meilleurs résultats en terme de netteté de flaveurs et de cadence de travail.

Finalement, la floculation est surtout pertinente pour le brasseur, mais le dégustateur sera intéressé de savoir qu’elle représente la rapidité de l’agglutination de la levure une fois la fermentation complétée. (...)

 

Les principales flaveurs provenant de la levure

La levure possède certaines flaveurs caractéristiques qu’on pourrait déclarer communes à toutes les souches, bien que leur intensité varie. Une bière où ces flaveurs paraissent relevées sera décrite comme « levurée ». Ces flaveurs intrinsèques à la levure offrent des notes de pain, de levain, de vitamine B. Au fil des mois, elles peuvent évoluer vers des notes d’autolyse rappelant entre autres le bouillon de viande.

La levure fait toutefois bien plus que contribuer quelques flaveurs intrinsèques. Elle engendre toute une panoplie de flaveurs connexes, lesquelles découlent non pas de la levure elle-même, mais de son travail lors de la fermentation. Ce sont des produits dérivés de la fermentation. (...)

Outre les deux résultantes évidentes de la fermentation que sont l’éthanol et le gaz carbonique, la levure est responsable d’au moins 500 composés aromatiques (rien de moins!) dont les plus notables sont les esters, les alcools supérieurs, les phénols, les composés sulfuriques et les carbonyles (aldéhydes et cétones dont le diacétyle). Même en concentration modérée, ces composés ont un immense impact sur le profil de flaveurs des bières que nous adorons. En concentration trop élevée, ils deviennent majoritairement désagréables et sont perçus comme des défauts. (...)

 

Les conditions de travail de la levure

Sans conteste, le facteur ayant le plus d’influence sur la qualité de la fermentation est la température. Plus précisément, le contrôle de la température, en cohérence avec les spécifications fournies par les détaillants pour chaque souche de levure qu’ils commercialisent. En réalité, de l’avis de nombreux brasseurs, le contrôle de la température a encore plus d’impact que le choix de la souche elle-même. (...)

Un autre facteur d’importance est l’ensemencement. La levure est souvent préalablement activée (à l’aide d’un starter) avant d’être intégrée à la pleine quantité de moût. Ceci favorise son essor. La quantité de levure à ajouter est la principale variable à optimiser. Pour une lager, il en faut davantage. Pour les ales anglaises et Weizen, il en faut moins. Si un brasseur intègre trop de levure à son moût, la durabilité de sa souche sera compromise, la fermentation sera plus lente et l’autolyse, plus probable. (...)

Une bonne présence de nutriments dans le moût est aussi évidemment très importante. Les principaux nutriments qui doivent être en quantité suffisante pour assurer une fermentation de qualité sont l’oxygène, l’azote, les sucres fermentescibles de même que certains minéraux. L’utilisation d’une eau de qualité, une saccharification efficace à l’aide de bons grains et une bonne aération du moût avant l’ensemencement constituent les étapes clés pour s’assurer de l’alimentation de la levure. (...)

 

Les principales souches de levure

Contrairement aux variétés de houblon, les variétés de levure n’ont pas nécessairement une identité botanique claire. Elles sont cultivées dans des laboratoires spécialisés, les deux plus connus étant Wyeast et White Labs, aux États-Unis. La méthode d’identification tend à se baser sur un style de bière. Par exemple, une souche de levure qui vise à reproduire le caractère d’une lager tchèque risque fort bien de s’appeler bohemian lager. Les classifications sont ainsi établies principalement selon des identités régionales et/ou stylistiques. (...)

Plusieurs théoriciens de la bière ont offert diverses visions sur la classification des levures. En général, ils divisent les levures de lager en deux catégories : celles produisant une bière sèche et croustillante comme une Pilsener Allemande et celles produisant une bière ronde et maltée comme une Bock. Ici, il n’y a pas trop de débats. La classification des levures d’ale s’avère plus ardue. (...)

Une catégorisation qui nous semble intéressante est celle proposée dans l’ouvrage Yeast – The practical guide to beer fermentation (White et Zainasheff, 2010). Les auteurs suggèrent de classifier les levures d’ales selon les cinq adjectifs suivants : nette, fruitée, hybride, phénolique ou excentrique. Les levures dites « nettes » (clean) sont utilisées pour les bières où l’on désire un profil de flaveurs relativement neutre, contenant peu de produits dérivés de fermentation. Elles sont typiques de styles, comme l’American Pale Ale, qui misent plus sur le malt et surtout le houblon pour établir leur identité. Les levures plus fruitées sont typiques des styles d’origine anglaise. Elles fermentent et floculent rapidement, laissant donc davantage de produits dérivés comme le diacétyle dans la bière finie. Les levures hybrides, propres à des styles comme l’Altbier et la Kölsch, ressemblent aux levures nettes, mais travaillent plus lentement, souvent à température plus basse et sont donc plus susceptibles de présenter des notes sulfuriques. Les levures phénoliques, qui floculent lentement et atténuent bien sont le fleuron des bières belges. Finalement, les levures excentriques regroupent les levures sauvages aux notes souvent terreuses, voire poussiéreuses et acides et peuvent être interprétées comme des cas extrêmes et non domestiqués des levures phénoliques. (...)

 

Des levures sauvages à domestiquer

Depuis quelques années, la recherche constante de l’originalité à travers l’innovation pousse certains brasseurs à rechercher des compléments aux levures traditionnelles. Certaines souches de levure dites sauvages sont ainsi intégrées au processus de fermentation. La famille la plus connue est celle des brettanomyces, ou dekkera, amicalement surnommées « brett » par leurs zélateurs. Comme toujours, l’objectif est ici d’élargir le spectre des flaveurs possibles. (...)

Les brettanomyces s’accommodent aisément de leur épithète « sauvages » puisque les termes qui sont habituellement utilisés pour décrire leurs arômes typiques dépeignent une véritable journée à la ferme : sueur de cheval, terre, cuir, diachylon, laine mouillée, souris, fleurs sauvages, fruits tropicaux trop mûrs... Instinctivement, ces caractéristiques peuvent sembler repoussantes, mais à l’usage, elles deviennent des plus charmantes. En fait, plusieurs amateurs ne jurent que par ces bières sauvages. Le brasseur qui sait bien doser peut produire des combinaisons de saveurs certes originales, mais aussi rustiques qu’élégantes, aussi rafraîchissantes que poignantes, aussi sèches que faciles à boire. (...)

Et la fermentation spontanée?

Souvent considérée comme une forme de fermentation distincte, la fermentation spontanée se fait sans que le brasseur ajoute de levure à son moût. Elle dépend des microbes présents dans les ingrédients, par exemple la peau des fruits, ou le matériel comme les barils de bois. (...)

 

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